Journal des Baumettes (extrait de la revue Esprit de Babel N°6)

 

Jour 1

Mal dormi. La mine des gens dans le bus comme des enfants défaits. A l’arrivée, le drapeau français punitif et les péchés capitaux sculptés par Gaston Castel. La prison extérieure est là : les valeurs morales.

12 portes sinon rien

digiphone porte carte badge porte

porte sas dadenas détecteur porte

porte badge porte

porte sas porte

bâtiment A porte sas porte

bâtiment B porte sas porte

porte clé porte ouverte porte ouverte porte fermée et

une salle

Quartier des condamnés à mort. Le dernier fut Ranucci.

Autour les bruits de porte les cris surveillant, au secours, parloir !

Ça se répétera chaque semaine.

Un mémoire du Robinson des prisons m’apprend comment faire un briquet électronique avec un coton tige, comment soigner le mal de gorge avec une gousse d’ail, la constipation avec de l’huile d’olive.

Je suis présenté comme un détenu: la tension palpable, les preuves à fournir de virilité (le bonjour comme enjeu et défi); autour: celui qui parle beaucoup, celui qui a les sourire en coin, celui qui se révolte (j’ai l’impression que vous prenez les autres pour des inférieurs car pas de revue corse), celui qui le soutient tout en paraissant obéir à la directrice (double jeu).

Ce qui sidère, c’est cet effet, cet état défait des corps; derrière les visages, la question de la violence et du passage à l’acte.

Au cabinet des curiosités, je découvre les vieilles portes de Toulon, un faux flingue en métal, un lance-pierre avec lanière élastique, un appareil de tatouage, une pipe, une matraque.

Dehors le camion attend avec dedans, les cages à lapin

J’apprends la langue interne du pouvoir : je suis dans la base de données Antigone.

 

Jour 2

Ici il semble interdit d’aimer. Les bruits sourds sont partout, l’écoute, nulle part.

 

Jour 3

Face à des barreaux noirs en bas, blancs en haut, je lis

les INDIGENTS sont autorisés à laver leur linge

arrêtez de jeter des détritus par les fenêtres, risque, avec les animaux, de maladies graves parfois mortelles, leptospirose ou maladie de Lyme

Attendre que CA CAIRE

 

Te voici vidé nu au trou

Te voici rempli de promesses de doutes et d’ivresse

Te voici insomniaque à imaginer des horizons plus larges qu’un crâne

Te voici hagard hors de toi quand bien même ce hangar de soi existerait

Tu es à poil anus ouvert tirant la langue

Tu danses les quatre pattes en l’air

 

Jour 4

Eh bien me voilà en prison, la gorge prise, le nez en nénuphar, avec quoi à transmettre.

Eh bien me voilà, défait, affaibli par ce qui me reste d’espoir.

  • Vous comprenez la fissure elle est là comme ça elle s’est élargie avec la pluie et les années et l’assurance ils s’en fichent je sors en courant je cours toujours je m’arrête pas mais cette fissure ça me fend vous comprenez la fissure arrête pas de s’agrandir je l’ai plâtrée bouchée tout à l’heure avec tout ce que j’avais mais rien à faire l’angoisse continue même après la nuit et qui plus est parmi nous

 

Jour 5

Je me souviens de R., un barbu tout rouge, il serre toujours les menottes un peu plus que nécessaire.

Je me souviens d’O., il reniflait sans cesse, il ne renâclait jamais à donner un coup de paluche.

Je me souviens d’H. il était musclé et écartait les gens du regard.

Je me souviens d’A., il n’avait plus de dents, perdues à coup d’un coup de bélier de la police.

 

extérieurement néo-colonial intérieurement il machine

extérieurement il n’en peut plus intérieurement c’est tendu

extérieurement intérieurement

c’est ainsi extérieurement que ça se passe

intérieurement c’est sous-jacent

extérieurement il n’aime pas intérieurement il admet

extérieurement c’est ceci intérieurement il n’implique plus cela

ici là c’est pas cela parce qu’ici puisque là

non plus jamais ici

Encore une fois défait.

 

Jour 6

Inutile de se cacher la vérité. Je suis défait. Je ne cherche plus qu’à téter, suçoter, temporiser. L’insupportable est à chaque pas. Surtout ce qui pourrait améliorer les choses.

Enfin sorti, de l’air, vite!

 

Jour 7

Lorsque j’arrive je n’ai déjà plus de poumon, ma respiration est laborieuse, les « au secours » alentour se sont multipliés, les remords de la nuit m’a épuisé, le pressentiment d’une catastrophe imminente m’avait lessivé.

 

Jour 8

Remplir des cases : je ne sais plus pleurer.

Comme dit Vaujour : Prison: endroit d’où il faut s’évader

 

Jour 9

L’effroi et la tension, la peur au ventre, le bruit de chute des ciseaux au sol, la parole pour meubler radicalement, radicellement.

 

Jour 10

Les circonstancielles m’apparaissent en conditionnelle et les circonstances atténuantes comme des fables ténues. Alors l’émotion se transforme en expérience. Sur le mur, on annonce une course camarguaise à la maison d’arrêt.

 

Jour 11

Je / lève / un / pied / pas / suspendu / cigogne / sinon / balle / kalachnikoff / de face / ou de dos / selon police / ou gendarme

C’est parce que tu rencontres une chaussure éventrée que tu penses au Père Noël, au zéro défaut / au 4 fois sans frais.

Ab. me raconte comment il s’est fait tabassé volontairement par solidarité avec son frère.

 

Jour 12

8H Souvenir d’un rêve. Une araignée morte.

10H Tu entends ce que je dis ?

12H Baumettes : Walà!

14H Digestion difficile – trop de choix

16H Hypnotisé – plus rien ne se passe

18H Vissé

20H Un verre vide

22H Un étirement pour survivre

 

Jour 13

Un gardien : « c’est grâce à la bonne mère que je suis là ».

Autour une foule déserte, une forêt métallique, une inertie mouvementée

un cri silencieux, un ego humble.

 

Jour 14

Des visages marqués, un état d’accusation, défait. Une lecture hirsute. Une fièvre qui monte.

Jour 15

Des espaces à n dimensions

5eme étage – quartier disciplinaire – cercle- portes beiges

4ème étage – quartier d’isolement – portes jaunes

1er étage – travailleurs – portes bleues

Emmaus- photo de l’abbé Pierre – carte bleue obligatoire

QD, QI, salle de sports muscu et l’infirmerie qui goutte

Une prison des femmes avec la cyberbase sans internet, l’espace de rencontres pardoxale parents-enfants, la nurserie qui garde.

 

 

 

Textes issus des ateliers

 

Espaces

 

portes

il y a des portes qui sont des portes qu’on porte

quand le malheur s’enchaîne les portes se déchaînent

 

quand je franchis une porte j’oublie ce qui se passe derrière

moi je regarde en face et je tourne ma tête de gauche à droite

 

je change de territoire sans savoir ce que je vais y découvrir

 

les mots ouvrent des portes les mots ferment une porte

il y a toujours une porte derrière la porte

 

escaliers

vivre dans l’escalier ça me rappelle quand on sortait tous de la maison pour se griller une cigarette

 

la vie est un escalier qui monte et qui descend, le plus dur est de garder l’équilibre pour ne pas tomber et surtout d’empêcher les autres qui convoitent ce haut de l’escalier de te faire glisser

 

l’escalier est un tas de questions une ascension psychologique vers le point d’interrogation inversé

 

murs

on écrasait nos cigarettes sur le mur d’en face

 

les murs les plus hauts sont ceux qui sont bâtis sans fondement et que nous avons dans notre tête, dans notre cœur, dans notre âme, dans notre inconscient, ils ne sont pas bâtis avec du mortier mais avec LA LANGUE et ce sont les plus durs à détruire à abattre à fissurer à conquérir à gravir – ils sont hauts, plus hauts que Babel ou Jéricho.

 

Écrire des mots choquants sur les murs pour prouver aux autres et à nous mêmes que nous existons

 

les murs de l’ego

 

phrases entendues

 

quand on assume ça s’efface

 

pas de bruit! Ça annonce rien de bon

 

allez on passe à table

 

il s’agit de

jouer à deux touches /collectif / entrer en contact/ tenter les occasions

 

la prison ça t’ouvre les yeux

 

longue est la naissance d’un homme / je suis né il n’y a pas longtemps

 

 

TEMPS – Nychtémère

 

6H45 j’entends les clés, envie terrible de pisser /rêves de mer turquoise et de sable blanc /les barreaux me reprennent brutalement/ la liberté n’a pas de prix/ je me passe de l’eau sur le visage

7H les convocations du jour pleuvent dans la boîte à lettres / les mots ouvrent les portes, ferment les portes, les convocations aussi

7H10 les mots réouvrent la porte de la cellule, mais il y a d’autres mots derrière la porte/ direction les cantines du sous-sol – à chaque jour un bon: lundi arrivage des marchandises, mardi bon rose, mercredi bon bleu, jeudi bon vert, vendredi bon jaune et à chaque fois : la générale + dispatching

7H30 petit-déjeuner frugal / deux cafés une tartine

8H promenade pieds glacés -je bats le sol des pieds pour voir si j’en ai toujours/ liberté des sens

10H00 le temps n’en finit plus

10H30 des couloirs froids, venteux, inhospitaliers – la prison t’ouvre les yeux

11H la solitude est l’ennemie de la liberté / heureusement ici je ne serai jamais seul

11H30 remontée en cellule/ ménage/ préparation du repas / allez on passe à table

13H encore l’appel et si possible une douche

13H30 activités de promenade – alors l’avocat qu’est-ce qu’il a dit ?/multimédia

16H réintégration des cellules, goûter face au regard de l’enfant

17H il pleut des gamelles

17H30 préparation du souper

18H15 pompes -histoire de dire que

19H allez on passe à table

19H15 informations régionales – fin du duo Woerth-Bettencourt

20H30 télé/ incontournable film/ courrier

22H ça fait peur / je suis né il n’y a pas longtemps / longue est la naissance d’un homme

22H30 coucher/ l’inégalité est au début, le hasard à la fin / finalement tout est la faute du hasard ce grand maladroit

les aiguilles du temps ont quartier libre

 

avec la participation de

Sylvain Peureux, régleur de peur

André Laumonier, angoissologue

Fréderic Vertonna de Voltaire, ajusteur d’âme

et autres complices d’écriture

 

Une réflexion sur « Journal des Baumettes (extrait de la revue Esprit de Babel N°6) »

  1. bonjour,

    je viens de trouver votre page sur Google ! surprise (bonne)…

    pourrais-je en savoir un peu plus sur qui a commis cette oeuvre ?

    je souhaiterais pouvoir éventuellement la reproduire (avec lien) sur mon site… serait-ce possible ?

    salutations
    bruno

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