Jour 1
Mal dormi. La mine des gens dans le bus comme des enfants défaits. A l’arrivée, le drapeau français punitif et les péchés capitaux sculptés par Gaston Castel. La prison extérieure est là : les valeurs morales.
12 portes sinon rien
digiphone porte carte badge porte
porte sas dadenas détecteur porte
porte badge porte
porte sas porte
bâtiment A porte sas porte
bâtiment B porte sas porte
porte clé porte ouverte porte ouverte porte fermée et
une salle
Quartier des condamnés à mort. Le dernier fut Ranucci.
Autour les bruits de porte les cris surveillant, au secours, parloir !
Ça se répétera chaque semaine.
Un mémoire du Robinson des prisons m’apprend comment faire un briquet électronique avec un coton tige, comment soigner le mal de gorge avec une gousse d’ail, la constipation avec de l’huile d’olive.
Je suis présenté comme un détenu: la tension palpable, les preuves à fournir de virilité (le bonjour comme enjeu et défi); autour: celui qui parle beaucoup, celui qui a les sourire en coin, celui qui se révolte (j’ai l’impression que vous prenez les autres pour des inférieurs car pas de revue corse), celui qui le soutient tout en paraissant obéir à la directrice (double jeu).
Ce qui sidère, c’est cet effet, cet état défait des corps; derrière les visages, la question de la violence et du passage à l’acte.
Au cabinet des curiosités, je découvre les vieilles portes de Toulon, un faux flingue en métal, un lance-pierre avec lanière élastique, un appareil de tatouage, une pipe, une matraque.
Dehors le camion attend avec dedans, les cages à lapin
J’apprends la langue interne du pouvoir : je suis dans la base de données Antigone.
Jour 2
Ici il semble interdit d’aimer. Les bruits sourds sont partout, l’écoute, nulle part.
Jour 3
Face à des barreaux noirs en bas, blancs en haut, je lis
les INDIGENTS sont autorisés à laver leur linge
arrêtez de jeter des détritus par les fenêtres, risque, avec les animaux, de maladies graves parfois mortelles, leptospirose ou maladie de Lyme
Attendre que CA CAIRE
Te voici vidé nu au trou
Te voici rempli de promesses de doutes et d’ivresse
Te voici insomniaque à imaginer des horizons plus larges qu’un crâne
Te voici hagard hors de toi quand bien même ce hangar de soi existerait
Tu es à poil anus ouvert tirant la langue
Tu danses les quatre pattes en l’air
Jour 4
Eh bien me voilà en prison, la gorge prise, le nez en nénuphar, avec quoi à transmettre.
Eh bien me voilà, défait, affaibli par ce qui me reste d’espoir.
- Vous comprenez la fissure elle est là comme ça elle s’est élargie avec la pluie et les années et l’assurance ils s’en fichent je sors en courant je cours toujours je m’arrête pas mais cette fissure ça me fend vous comprenez la fissure arrête pas de s’agrandir je l’ai plâtrée bouchée tout à l’heure avec tout ce que j’avais mais rien à faire l’angoisse continue même après la nuit et qui plus est parmi nous
Jour 5
Je me souviens de R., un barbu tout rouge, il serre toujours les menottes un peu plus que nécessaire.
Je me souviens d’O., il reniflait sans cesse, il ne renâclait jamais à donner un coup de paluche.
Je me souviens d’H. il était musclé et écartait les gens du regard.
Je me souviens d’A., il n’avait plus de dents, perdues à coup d’un coup de bélier de la police.
extérieurement néo-colonial intérieurement il machine
extérieurement il n’en peut plus intérieurement c’est tendu
extérieurement intérieurement
c’est ainsi extérieurement que ça se passe
intérieurement c’est sous-jacent
extérieurement il n’aime pas intérieurement il admet
extérieurement c’est ceci intérieurement il n’implique plus cela
ici là c’est pas cela parce qu’ici puisque là
non plus jamais ici
Encore une fois défait.
Jour 6
Inutile de se cacher la vérité. Je suis défait. Je ne cherche plus qu’à téter, suçoter, temporiser. L’insupportable est à chaque pas. Surtout ce qui pourrait améliorer les choses.
Enfin sorti, de l’air, vite!
Jour 7
Lorsque j’arrive je n’ai déjà plus de poumon, ma respiration est laborieuse, les « au secours » alentour se sont multipliés, les remords de la nuit m’a épuisé, le pressentiment d’une catastrophe imminente m’avait lessivé.
Jour 8
Remplir des cases : je ne sais plus pleurer.
Comme dit Vaujour : Prison: endroit d’où il faut s’évader
Jour 9
L’effroi et la tension, la peur au ventre, le bruit de chute des ciseaux au sol, la parole pour meubler radicalement, radicellement.
Jour 10
Les circonstancielles m’apparaissent en conditionnelle et les circonstances atténuantes comme des fables ténues. Alors l’émotion se transforme en expérience. Sur le mur, on annonce une course camarguaise à la maison d’arrêt.
Jour 11
Je / lève / un / pied / pas / suspendu / cigogne / sinon / balle / kalachnikoff / de face / ou de dos / selon police / ou gendarme
C’est parce que tu rencontres une chaussure éventrée que tu penses au Père Noël, au zéro défaut / au 4 fois sans frais.
Ab. me raconte comment il s’est fait tabassé volontairement par solidarité avec son frère.
Jour 12
8H Souvenir d’un rêve. Une araignée morte.
10H Tu entends ce que je dis ?
12H Baumettes : Walà!
14H Digestion difficile – trop de choix
16H Hypnotisé – plus rien ne se passe
18H Vissé
20H Un verre vide
22H Un étirement pour survivre
Jour 13
Un gardien : « c’est grâce à la bonne mère que je suis là ».
Autour une foule déserte, une forêt métallique, une inertie mouvementée
un cri silencieux, un ego humble.
Jour 14
Des visages marqués, un état d’accusation, défait. Une lecture hirsute. Une fièvre qui monte.
Jour 15
Des espaces à n dimensions
5eme étage – quartier disciplinaire – cercle- portes beiges
4ème étage – quartier d’isolement – portes jaunes
1er étage – travailleurs – portes bleues
Emmaus- photo de l’abbé Pierre – carte bleue obligatoire
QD, QI, salle de sports muscu et l’infirmerie qui goutte
Une prison des femmes avec la cyberbase sans internet, l’espace de rencontres pardoxale parents-enfants, la nurserie qui garde.
Textes issus des ateliers
Espaces
portes
il y a des portes qui sont des portes qu’on porte
quand le malheur s’enchaîne les portes se déchaînent
quand je franchis une porte j’oublie ce qui se passe derrière
moi je regarde en face et je tourne ma tête de gauche à droite
je change de territoire sans savoir ce que je vais y découvrir
les mots ouvrent des portes les mots ferment une porte
il y a toujours une porte derrière la porte
escaliers
vivre dans l’escalier ça me rappelle quand on sortait tous de la maison pour se griller une cigarette
la vie est un escalier qui monte et qui descend, le plus dur est de garder l’équilibre pour ne pas tomber et surtout d’empêcher les autres qui convoitent ce haut de l’escalier de te faire glisser
l’escalier est un tas de questions une ascension psychologique vers le point d’interrogation inversé
murs
on écrasait nos cigarettes sur le mur d’en face
les murs les plus hauts sont ceux qui sont bâtis sans fondement et que nous avons dans notre tête, dans notre cœur, dans notre âme, dans notre inconscient, ils ne sont pas bâtis avec du mortier mais avec LA LANGUE et ce sont les plus durs à détruire à abattre à fissurer à conquérir à gravir – ils sont hauts, plus hauts que Babel ou Jéricho.
Écrire des mots choquants sur les murs pour prouver aux autres et à nous mêmes que nous existons
les murs de l’ego
phrases entendues
quand on assume ça s’efface
pas de bruit! Ça annonce rien de bon
allez on passe à table
il s’agit de
jouer à deux touches /collectif / entrer en contact/ tenter les occasions
la prison ça t’ouvre les yeux
longue est la naissance d’un homme / je suis né il n’y a pas longtemps
TEMPS – Nychtémère
6H45 j’entends les clés, envie terrible de pisser /rêves de mer turquoise et de sable blanc /les barreaux me reprennent brutalement/ la liberté n’a pas de prix/ je me passe de l’eau sur le visage
7H les convocations du jour pleuvent dans la boîte à lettres / les mots ouvrent les portes, ferment les portes, les convocations aussi
7H10 les mots réouvrent la porte de la cellule, mais il y a d’autres mots derrière la porte/ direction les cantines du sous-sol – à chaque jour un bon: lundi arrivage des marchandises, mardi bon rose, mercredi bon bleu, jeudi bon vert, vendredi bon jaune et à chaque fois : la générale + dispatching
7H30 petit-déjeuner frugal / deux cafés une tartine
8H promenade pieds glacés -je bats le sol des pieds pour voir si j’en ai toujours/ liberté des sens
10H00 le temps n’en finit plus
10H30 des couloirs froids, venteux, inhospitaliers – la prison t’ouvre les yeux
11H la solitude est l’ennemie de la liberté / heureusement ici je ne serai jamais seul
11H30 remontée en cellule/ ménage/ préparation du repas / allez on passe à table
13H encore l’appel et si possible une douche
13H30 activités de promenade – alors l’avocat qu’est-ce qu’il a dit ?/multimédia
16H réintégration des cellules, goûter face au regard de l’enfant
17H il pleut des gamelles
17H30 préparation du souper
18H15 pompes -histoire de dire que
19H allez on passe à table
19H15 informations régionales – fin du duo Woerth-Bettencourt
20H30 télé/ incontournable film/ courrier
22H ça fait peur / je suis né il n’y a pas longtemps / longue est la naissance d’un homme
22H30 coucher/ l’inégalité est au début, le hasard à la fin / finalement tout est la faute du hasard ce grand maladroit
les aiguilles du temps ont quartier libre
avec la participation de
Sylvain Peureux, régleur de peur
André Laumonier, angoissologue
Fréderic Vertonna de Voltaire, ajusteur d’âme
et autres complices d’écriture