lecture – Mustapha Benfodil, Archéologie du chaos [amoureux]

Il y a quelque chose de déconcertant dans ce texte. Un apparent classicisme de certains passages (passé simple,clichés sexuels..) farcis d’un nihilisme profond, d’une jouissance blasphématoire, d’une impossible morale passant par le viol, de révolte esthétique et politique armés de slogans libérateurs et jubilatoires (Gloire aux rêveuritionnaires, Nietzsche ta mère humanité ! )– un refus des pseudo-acquis patrimoniaux politiques. Les notes de l’inspecteur Kamel qui enquêtait sur la mort suspecte de l’auteur imposent la métalepse comme figure majeure de mise en tension des identités d’auteur, de narrateur et de personnage. Enfin, le Manifeste du Chloupisme nous fait entrer sur les urgences politiques de l’Algérie contemporaine.

Éclairage par l’article Art, action et esthétique de la révolte (revue lignes n°36) qui explique comment pièce Maportaliche/ Cela n’a pas d’importance pour moi fut retirée de la Biennale d’art contemporain à Sharjah aux Émirats Arabes Unis en mai 2011 pour des motifs religieux. D’où sa critique de l’Art/tificiel, une forme d’art quasi-officiel qui met en sourdine les questions politiques brûlantes pour servir les riches institutions culturelles du Golfe (Louvre Abou Dhabi, Guggenheim Abou Dhabi, festival de cinéma de Dubaï…)en quête de légitimité culturelle tout en maintenant un conformisme politique.

lecture : Louise Desbrusses, L’argent, l’urgence

Il y a ce leitmotiv sonore « l’argent, l’urgence », il y a le rythme des questions et des parenthèses qui jouent le jeu d’accélérateur et de convocation de l’urgence et démontrent l’impossible pause narrative et l’impossibilité de différer. Il y a ces personnages allégoriques : l’Homme-à-élever, l’Eclat noir, il y la puissance oppressante des pléonasmes (la perforatrice perfore, le commencement commence…) et la faillite de l’Amour pour Un. Une machine à détruire la stabilité, les territoires conquis : le syntagme l’argent – l’urgence.

le boeuf m’habite

 

 

nous sommes tous morts nous nous accrochons
à notre sang de cochonnous sommes mortadellement momifiés
monstrueux à la petite semaine de bouchers chimériques certaines nuits la nuit éructant invisibles                                                         au jour levé bouche fermée

 

A Castelnaudary the World Capital of « le vrai cassoulet » on m’a fait l’éloge du cochon.

A Castelnaudary, tout a l’air si simple, le blé est en herbe, on est bien dans l’herbe, à déjeuner, sur le sol, les herbes poussent, c’est presque la nature à l’intérieur des palissades du chantier, c’est une vraie friche; on mange les mots, les photos sont trop lourdes pour en parler. Il y a le grain de la terre, les herbes sauvages qui poussent. Le chantier en jachère les herbes poussent les petits hôtels minables disparaissent les friches apparaissent les grues tardent le chantier est en retard, le retard réclame le chantier, chantier= retard, il se fait tard, on aime le chantier en retard, on tarde à terminer le chantier, le chantier n’est pas terminable, on déjeune dans l’herbe avec du saucisson et des baguettes, on frise le délire, c’est mieux qu’un hôtel. On a envie de se marier, ça commence à faire tard pour mettre la bague au doigt et faire la belle photo des noces. Va falloir reprendre le travail, on saucissonne le travail. On se demande s’il en manque pas un bout.

A Castelnaudary, j’ai décidé de résister et de défendre le boeuf contre le cochon.

Je préfère le boeuf au cochon. Le saucisson est très salé salé. Le boeuf salé est meilleur encore. Le cochon est très sale, le boeuf est très salé. La vache est propre, blanche, immaculée. Le veau est délicat et frêle. Le cochon se complait dans sa crasse. Dans le cochon on mange tout, les tripes, le nez, la queue en tire-bouchon et même les yeux. Les oreilles se mastiquent, le nez est déjà prédécoupé: il n’a pas d’arrête ni de pointe, contrairement au poisson. Le boeuf est tendre, il se mange par tranches ou par blocs. Le steak haché est d’abord coupé puis haché.

Tranche, rond de tranche, entrecôte, cote. Hampe, onglet, bavette d’aloyau. Filet, faux-filet, rumsteck, aiguillette, gîte, jumeau, plat de côtes, tendron, rond de gîte, paleron, macreuse, sacrée poitrine !

Le boeuf m’habite et m’abrite dans son gîte tendre où il m’offre poitrine généreuse et jumelage amical. Nous sommes des frères avec le boeuf. Nous détestons le saucisson et ses affres impures. Nous aimons le rouge. Je me demande si je ne prendrais pas un petit morceau de chorizo ?

 

le rebut humain (à partir de la revue lignes n°35)

La société mondialisée comme machine à produire du rebut (Zygmunt Bauman): les vaincus, les Troyens.

En gardant les distinctions entre des mesures de discrimination et d’exclusion à l’extermination.

Penser le global à partir de la périphérie, des êtres rejetés, abjecti (Guillaume d’Auvergne), les degiets, déchets, les inhumains.

Les lépreux et leur imaginaire n’existent pas seulement au sens clinique, mais comme figures de répulsion, où sont convoqués les Juifs, les prostituées, les mendiants, les sorcières, les fous, les prisonniers … et aujourd’hui, les pédophiles, les islamistes et terroristes.

Les colonisés ont ainsi été envisagés à partir d’un manque (religion, lois, obligations…).

 

lecture – Revue lignes 34 et 35 l’exemple des roms – les roms, pour l’exemple

Ces deux numéros questionnent l’ethnicisation des discours et pratiques étatiques, appuyés depuis le Discours de Grenoble du 30 juillet 2010 – la substantivation en chose « Qu’est-ce qu’on en fait ? » – et la concrétisation d’Hortefeux « démanteler dans les trois prochains mois 300 campements illégaux dont 200 de Roms ». Ce dont relatif mériterait d’être davantage commenté comme manière de dessiner les territoires mêlant droit et ethnie, zone de l’illicite dans laquelle on réserve spécialement une place pour une ethnie.

On peut être fasciné pour la diversité des noms désignant : Gitans, Tsiganes, Romanichels, Roms, Sintis, yeniches, Manouches…

Le mot rom signifierait homme par opposition à romni (épouse) ou Gadjé (les autres), migrants supposément venus de l’Inde, de la caste des Domba.

On y lit chez Jean-Luc Nancy une relecture de la lettre de Flaubert commentant la haine du Bourgeois pour les Bohémiens, et du Bohémien de Kafka : la figure de Jamais-Plus, le Romanichel, par opposition à Retiens-le,Saisis-le ratiers ordinaires.

On réfléchit le procédé de triangulation du pouvoir, avec ses étapes ,arratives :ouverture/discours de Dakar, responsables « dela diversité »/statistiques ethniques, identité nationale, etc.

Dans Une passion d’en haut, Jacques Rancière critique le présupposé du racisme comme passion populaire, depuis les lois Pasqua de 1993 qui donne lieu à un « racisme froid » d’Etat : le contrôle de la circulation des personnes (faute de contrôler celui des capitaux). Ainsi se constituent de nouvelles figures d’immigrés et de clandestins selon les lois qui permettent de donner figure au dangereux et de réaménager constamment la frontière dedans/dehors.

Etienne Balibar utilise la notion d’apartheid européen comme système d’exclusion sociale.

Des stratégies sont proposées : le devenir-rom du Nous sommes tous des Roms ! Du 4 septembre 2010, la notion d’hospitalité selon Derrida comme l’espace d’un accueil sans réserve et sans calcul, ce qui aurait été esquissé par les Enfants de Don Quichotte en décembre 2006 par opposition aux politiques répressives comme la destruction du Hanul, plus vieux d’IDF, de 10 ans, le 6 juillet 2010 envisagé comme art de la guerre non déclarée.

 

extrait d’Atrides – Paysages tremblés

j’achète

je vends

 

j’achète des vêtements et je jette des déchets

je jette des vêtements et j’achète des déchets

 

j’ai acheté des loques en croyant acheter des fringues

j’ai vendu des flingues en croyant vendre des jouets

j’ai acheté des navets en croyant acheter des langoustes

j’ai vendu des caméras en pensant vendre du confort

j’ai acheté du pétrole en rêvant d’acheter de l’or

j’ai vendu du porno en songeant à l’amour

j’ai acheté du coca en voulant du bio

j’ai acheté du p-cul triple épaisseur alors que j’en voulais du double

j’ai acheté des tableaux en imaginant acheter de l’art

j’ai acheté une vitrine en espérant acheter un miroir

 

je me suis vendu moi-même en me mettant en solde

je me suis acheté moi-même en me collant un crédit au cul

je me suis remboursé en me réendettant encore plus

je me suis raboté les crédits en m’en reprenant un pour la route

 

j’ai vendu ma fille en pensant acheter les dieux

j’ai vendu une soupe à mon frère en tronçonnant des enfants

têtes coupées, mains tranchées, pieds brisés

cheveux incendiés, poitrine calcinée

ça ne vit plus que dans la moelle

 

j’achète tout je vends tout

je me vends

je me solde

je me liquide totalement